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Ami, ami, oui, dans l’humiliation, et dans l’humiliation jusqu’à nos jours ! L’homme endure sur la terre des maux sans nombre. Ne pense pas que je sois seulement un fantoche costumé en officier, bon à boire et à faire la noce. L’humiliation, partage de l’homme, voilà, frère, presque l’unique objet de ma pensée. Dieu me préserve de mentir et de me vanter. Je songe à cet homme humilié, car c’est moi-même.

Pour que l’homme puisse sortir de l’abjection
Par la force de son âme,
Il doit conclure une alliance éternelle
Avec l’antique mère, la Terre.

Seulement, voilà, comment conclure cette alliance éternelle ? Je ne féconde pas la terre en ouvrant son sein ; me ferai-je laboureur ou berger ? Je marche sans savoir où je vais, vers la lumière radieuse ou la honte infecte. C’est là le malheur, car tout est énigme en ce monde. Alors que j’étais plongé dans la plus abjecte dégradation (et je l’ai presque toujours été), j’ai toujours relu ces vers sur Cérès et la misère de l’homme. M’ont-ils corrigé ? Non pas ! Parce que je suis un Karamazov. Parce que, quand je roule dans l’abîme, c’est tout droit, la tête la première ; il me plaît même de tomber ainsi, je vois de la beauté dans cette chute. Et du sein de la honte j’entonne un hymne. Je suis maudit, vil et dégradé, mais je baise le bas de la robe où s’enveloppe mon Dieu ; je suis la route diabolique, tout en restant Ton fils, Seigneur, et je T’aime, je ressens la joie sans laquelle le monde ne saurait subsister.

<poem class="verse"> La joie éternelle anime L’âme de la création. Transmet la flamme de la vie Par la force mystérieuse des germes ; C’est elle qui a fait surgir l’herbe, Transformé le chaos en soleils Dispersés dans les espaces Non soumis à l’astronome. Tout ce qui respire Puise la joie au sein de la bonne Nature ; Elle entraîne à sa suite les êtres et les peuples ; C’est elle qui nous a donné