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huppés, revenue à la maison depuis un an à cause de la maladie de sa mère, et paradant dans des robes élégantes. Ces deux femmes étaient pourtant tombées dans une profonde misère et allaient même chaque jour, en tant que voisines, chercher du pain et de la soupe à la cuisine de Fiodor Pavlovitch. Marthe Ignatièvna leur faisait bon accueil. Mais la fille, tout en venant chercher de la soupe, n’avait vendu aucune de ses robes ; l’une d’elles avait même une traîne fort longue. Aliocha tenait ce détail de son ami Rakitine, auquel rien n’échappait dans notre petite ville ; bien entendu, il l’avait oublié aussitôt. Arrivé devant le jardin de la voisine, il se rappela cette traîne, releva rapidement sa tête courbée, pensive, et… fit soudain la rencontre la plus inattendue.

Derrière la haie, debout sur un monticule et visible jusqu’à la poitrine, son frère Dmitri l’appelait à grands gestes, tout en évitant, non seulement de crier, mais même de dire un mot, de peur d’être entendu. Aliocha accourut vers la haie.

« Par bonheur, tu as levé les yeux, sinon j’aurais été obligé de crier, chuchota joyeusement Dmitri. Saute-moi cette haie, vivement ! Comme tu arrives à propos ! je pensais à toi… »

Aliocha n’était pas moins content, mais il ne savait trop comment franchir la haie. Dmitri, de sa main d’athlète, le souleva par le coude et l’aida à sauter, ce qu’il fit, le froc retroussé, avec l’agilité d’un gamin.

« Et maintenant, en avant, marche ! murmura Dmitri transporté de joie.

— Mais où ? fit Aliocha, regardant de tous côtés et se voyant dans un jardin désert, où il n’y avait qu’eux. Le jardin était petit, mais la maison se trouvait au moins à cinquante pas. — Il n’y a personne ici, pourquoi parlons-nous à voix basse ?

— Pourquoi ? Et que le diable m’emporte si je le sais ? s’exclama soudain Dmitri à pleine voix. Regarde comme on peut être absurde. Je suis ici pour épier un secret. Les explications viendront après, mais, sous l’impression du mystère, je me suis mis à parler secrètement, à chuchoter comme un sot, sans raison. Allons, viens et tais-toi. Mais je veux t’embrasser.

Gloire à l’Éternel sur la terre. Gloire à l’Éternel en moi…

Voilà ce que je répétais tout à l’heure, assis à cette place… »