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de toute la vie. c’est-à-dire de toute la vie humaine, avec la raison et toutes les démangeaisons possibles. Et si notre vie n’est quelquefois pas fameuse dans cette manifestation, c’est quand même la vie, et non pas uniquement l’extraction de la racine carrée. Car moi, par exemple, je veux vivre tout à fait naturellement, pour satisfaire ma capacité de vivre, et non pour satisfaire ma capacité de raisonner, ce qui est environ la vingtième partie de ma capacité de vivre. Que sait la raison ? La raison ne sait que ce qu’elle a eu le temps de savoir (il peut y avenir certaines choses qu’elle ne saura jamais ; ce n’est pas consolant, mais pourquoi ne pas l’avouer ?), tandis que la nature humaine agit en bloc avec tout ce qui se trouve en elle, et, qu’elle se trompe ou non, elle vit. Je soupçonne, Messieurs, que vous me regardez avec pitié. Vous me répétez qu’un homme instruit et intelligent, un homme en un mot tel que devra être l’homme futur, ne pourra pas désirer sciemment quelque chose qui soit contraire à ses intérêts ; qu’il en est ainsi mathématiquement. Je suis parfaitement de votre avis, c’est bien ainsi mathématiquement. Mais je vous le répète pour la centième fois, il n’y a qu’un cas, un seul, quand l’homme peut désirer exprès quelque chose de nuisible, d’insensé, de fou. C’est quand il veut avoir le droit de désirer tout ce qu’il y a de plus absurde et ne pas être lié par le devoir de désirer seulement ce qui est raisonnable. Cette chose absurde, c’est