qué ma vie en pourrissant moralement dans un trou, sans entourage, déshabitué dans mon sous-sol de tout ce qui est vivant, et plein d’une scrupuleuse malice. Dans un roman, il faut présenter un héros, et ici sont réunis exprès tous les traits d’un antihéros ; et surtout, tout cela produira une impression désagréable, car tous nous sommes déshabitués de la vie, nous boitons tous, plus ou moins. Nous en sommes déshabitués à un tel point, que par moments nous avons une espèce de dégoût pour la vie réelle, et c’est pour cela que nous détestons qu’on nous y fasse penser. Nous sommes arrivés à considérer « la vie vivante » comme une peine, presque comme un emploi, et tous en nous-mêmes nous sommes de l’avis qu’il fait meilleur vivre d’après un livre. Et pourquoi nous agitons-nous ; pourquoi faisons-nous des folies, que demandons-nous ? Nous ne le savons pas nous-mêmes ! Nous nous en trouverions plus mal, si nos folles demandes étaient réalisées. Voyons, essayez donc de nous donner, par exemple, plus d’indépendance ; débarrassez n’importe qui de ses entraves ; élargissez le cercle de son activité ; affaiblissez sa tutelle, et nous… Mais je vous l’assure : nous redemanderons aussitôt la tutelle. Je sais bien qu’il se peut que vous vous emportiez, que vous criiez, que vous frappiez du pied. Parlez donc, direz-vous, pour vous seul et pour toutes vos misères dans le sous-sol, et n’osez pas dire : nous
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