Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/146

Cette page n’a pas encore été corrigée

der, mais je ne suis l’esclave de personne ; je suis venu et je m’en irai. Je me secoue et je redeviens autre. Mais quant à toi, pour commencer, tu es une esclave. Oui, une esclave ! Tu as tout donné, toute ta volonté. Et si tu voulais briser ces chaînes, cela serait impossible : elles te tiendraient de plus en plus fortement. C’est une chaîne maudite. Je la connais. Je ne parle pas d’autre chose, tu ne le comprendrais pas. Mais dis-le-moi : tu es sûrement endettée envers le propriétaire ? Eh bien, vois-tu ! ajoutai-je, —voyant malgré son mutisme qu’elle m’écoutait de tout son être, — voilà une chaîne ! Tu ne pourras jamais te délivrer. C’est comme si tu avais vendu ton âme au diable…

« Et puis, d’ailleurs… il se peut que je sois aussi malheureux, tu ne peux le savoir, et que je veuille me vautrer dans la boue, à cause de mon chagrin. Il arrive bien de boire par chagrin ; eh bien, c’est le chagrin qui m’a amené ici. Dis donc, qu’y a-t-il de bien : nous nous sommes… rencontrés… tout à l’heure, et nous n’avons pas échangé une parole, et ce n’est qu’après que tu m’as examiné, comme une sauvage ; moi aussi de mon côté. Est-ce ainsi que l’on aime ? Est-ce ainsi qu’on devrait se réunir ? C’est une monstruosité, voilà tout !

— Oui ! approuva-t-elle brusquement.

La promptitude avec laquelle elle prononça ce « oui » m’étonna. Peut-être la même idée germait-