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le joueur

— Fichez-moi la paix, tas de diables ! Ça ne vous regarde pas ! Et que me veulent ces quatre poils de bouc ? (Elle montrait de Grillet.) Et toi, bel oiseau, que me veux-tu ? (Elle parlait à Mlle Blanche.)

— Diantre !… murmura Mlle Blanche, dont les yeux étincelaient de colère. Puis elle éclata de rire et sortit en criant au général : « Elle vivra cent ans ! »

— Ah ! ah ! c’est sur ma mort que tu comptais ? dit la babouschka au général. Va-t’en !… Alexis Ivanovitch, mets-les tous à la porte ! Mais de quoi vous mêlez-vous ? C’est mon argent, à moi, que j’ai perdu !

Le général haussa les épaules et sortit. De Grillet le suivit.

— Qu’on appelle Praskovia, commanda la babouschka à Marfa.

Cinq minutes après, Marfa revint avec Paulina, qui était restée dans sa chambre avec les enfants. Son visage était triste et soucieux.

— Praskovia, est-il vrai que cet imbécile, ton beau-père, veut épouser cette sotte petite Française, une actrice ou peut-être pis encore ? Hein ?

— Je ne sais pas, babouschka, mais… on peut croire…

— Assez ! interrompit énergiquement la babouschka, je comprends tout. Ç’a toujours été le plus futile, le plus vide des hommes. Il se targue de son grade ; et moi, je sais l’histoire des télégrammes envoyés à Moscou : « La vieille va-t-elle bientôt mourir ? » On attendait l’héritage ! Sans argent, cette ignoble fille…, cette… de Comminges, n’est-ce pas ?… n’en voudrait pas même pour valet, de ce fameux général avec ses fausses dents. Et elle est riche elle-même, dit-on ; elle prête sur gages. Elle a dû l’acquérir proprement, cet argent ! Toi, Praskovia, je ne t’accuse de rien. Je ne veux pas réveiller de vieux griefs. Tu as mauvais caractère, tu es un vrai taon, et tes piqûres sont mauvaises. Mais je te plains quand même, car j’aimais ta mère, Katia. Veux-tu les laisser tous et venir