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le joueur

davantage quand la chance aurait tourné. Mais elle était si impatiente qu’on ne pouvait la retenir. Dès qu’elle gagnait une douzaine de louis elle disait :

— Tu vois ! ça revient pour nous. Si nous avions mis quatre mille florins au lieu de douze louis, nous aurions gagné quatre autres mille florins. C’est toujours toi…

Tout à coup de Grillet se rapprocha. Je remarquai, en me retournant, que Mlle  Blanche, à l’écart avec sa mère, faisait la cour au petit prince. Il était clair que le général était en disgrâce ; Blanche ne le regardait même pas. Il pâlissait, rougissait, tremblait, ne suivait même plus le jeu de la babouschka. Enfin, Blanche et le petit prince sortirent. Le général les suivit.

— Madame, madame, dit d’une voix doucereuse de Grillet. Babouschka, madame, on ne joue pas ainsi, vraiment !

— Et comment, alors ? Apprends-moi à jouer.

De Grillet se mit à lui donner des conseils, à calculer les chances : la babouschka n’y comprenait rien. Enfin, il prit un crayon et se mit à écrire des combinaisons. La babouschka perdit patience.

— Va-t’en, tu dis des bêtises ! « Madame ! Madame ! » et quand il faut agir, alors il ne sait plus, le conseilleur ! Va-t’en !

— Mais, madame !

Et il recommença ses explications.

— Eh bien ! mets donc une fois comme il dit, m’ordonna-t-elle ; nous allons voir.

De Grillet voulait seulement la détourner de jouer trop gros jeu. Il conseillait de jouer à la fois sur un chiffre à part et sur un système de chiffres. Je misai suivant ses conseils : un louis sur chaque série de nombres impairs dans la première douzaine et cinq louis sur le groupe de nombres de douze à dix-huit et de dix-huit à vingt-quatre : en tout seize louis.

— Zéro ! cria le croupier.

Nous perdions tout.