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le joueur

— Pourquoi pas ? Parce que vous restez ici à vous ennuyer, il faut que je fasse comme vous ?

— Mais, madame, dit de Grillet, les chances peuvent tourner. Vous pouvez tout perdre d’un seul coup… Surtout avec votre jeu… C’était terrible !…

— Vous perdrez certainement, miaula Mlle Blanche.

— Et qu’est-ce que ça vous fait ? Ce n’est pas votre argent que je perdrai, c’est le mien !… Et où est M. Astley ?

— Il est resté à la gare, babouschka.

— C’est dommage. C’est un brave garçon.

En arrivant, à l’hôtel, la babouschka appela le majordome et lui apprit son gain. Puis elle appela Fédossia, lui donna trois louis et demanda à dîner.

— Alexis Ivanovitch, sois prêt vers quatre heures ; nous irons ensemble à la roulette. En attendant, au revoir. Et n’oublie pas de m’amener quelque docteur, il faut que je prenne les eaux.

Je sortis de chez la babouschka comme étourdi. Je tâchais de m’imaginer quelle tournure allaient prendre les affaires. Le général et les autres étaient déconcertés. L’arrivée inattendue de la babouschka avait détruit toutes leurs espérances. Cependant, l’aventure de la roulette était pour eux plus importante encore ; car, quoique la babouschka eût dit deux fois qu’elle ne donnerait pas d’argent au général, du moins il conservait encore un dernier espoir ; mais maintenant, après les exploits de la vieille dame à la roulette, maintenant peut-être tout était bien compromis. Chaque louis qu’elle risquait était comme un coup de couteau dans le cœur du général. C’était extrêmement dangereux.

Toutes ces réflexions m’agitaient tandis que je regagnais ma chambre au dernier étage de l’hôtel. Et je ne connaissais pas tous les facteurs du problème que je voulais résoudre. Paulina ne m’avait jamais parlé avec une entière franchise. Presque toujours, après m’avoir fait quelques confidences, elle les tournait en ridicule et me