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le joueur


qu’en cet instant. Mes mains frémissaient, la tête me tournait. Certes, le cas était rare : trois zéros sur dix coups ! Pourtant cela n’était pas extraordinaire. Trois jours auparavant, j’avais vu le zéro sortir trois fois de suite.

Tout le monde rivalisa d’amabilité pour la babouschka ; on lui régla son gain avec humilité. Elle avait à recevoir quatre cent vingt louis, c’est-à-dire quatre mille florins et vingt louis.

Cette fois-ci, la babouschka n’appela plus Potapitch. Elle ne tremblait plus, extérieurement du moins ; elle tremblait, pour ainsi dire, intérieurement.

— Alexis Ivanovitch, il a dit qu’on peut mettre quatre mille florins, n’est-ce pas ? Eh ! mets les quatre mille sur le rouge.

La roue tourna.

— Rouge ! cria le croupier.

Cela faisait donc en tout huit mille florins.

— Donne-m’en quatre mille et mets les quatre autres mille sur le rouge.

J’obéis.

— Rouge !

— Ça fait douze ; donne-les-moi. Mets l’or dans ma bourse et cache les billets. En voilà assez. Rentrons.


XI


On roula vers la porte le fauteuil de la babouschka. Elle était rayonnante. Tous les nôtres la félicitèrent. Malgré son excentricité, son triomphe semblait lui avoir fait une auréole, et le général ne craignait plus de se montrer en public avec elle. Avec une familiarité souriante, il adressa à la babouschka des compliments pareils à ceux qu’on donne à un enfant. Visiblement, il était étonné,