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le joueur

— Mais, babouschka…

— As-tu honte de moi ? Reste. On ne te demande pas de venir. Vois-tu ce général ! Mais je suis générale moi-même ! Et, en effet, tu as raison, je n’ai pas besoin de toute cette suite. Alexis Ivanovitch me suffira.

Mais de Grillet insista pour que tout le monde accompagnât la babouschka, et il trouva quelques mots aimables sur le plaisir tout particulier, etc.

On se mit en route.

— Elle est tombée en enfance, répétait de Grillet au général. Si on la laisse aller seule, elle fera des folies…

Je n’entendis pas le reste de la conversation. Mais, évidemment, de Grillet avait déjà de nouveaux projets et reprenait espoir.

Il y avait une demi-verste de l’hôtel jusqu’à la gare.

Le général était un peu rassuré ; pourtant il craignait visiblement la roulette. Qu’allait faire là une vieille impotente ? Paulina et Mlle Blanche marchaient chacune d’un côté du fauteuil. Mlle Blanche était gaie, ou du moins affectait de l’être. Paulina s’efforçait de satisfaire la curiosité de la vieille dame, qui l’accablait de questions. M. Astley me dit à l’oreille : « La matinée ne s’achèvera pas sans incident. » Potapitch et Marfa se tenaient derrière le fauteuil. Le général et de Grillet, un peu à l’écart, causaient avec animation ; ce dernier semblait donner des conseils. Mais que faire contre la terrible phrase de la babouschka : « Je ne te donnerai rien ! » Et le général connaissait bien sa tante, il n’avait plus d’espoir. De Grillet et Mlle Blanche se faisaient des signes.

Nous fîmes à la gare une entrée triomphale. Les domestiques de l’endroit montrèrent autant d’empressement que ceux de l’hôtel. La babouschka commença par ordonner qu’on la portât dans tous les salons. Enfin, on arriva à la salle de jeu. Les laquais qui gardaient les portes les ouvrirent à deux battants.

À l’extrémité de la salle où se trouvait la table de trente