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le joueur

Le général commençait à reprendre ses esprits. Il savait, à l’occasion, affecter une certaine solennité qui ne manquait pas son effet.

— Nous étions si inquiets au sujet de votre santé… Nous recevions des télégrammes si désespérés ! Mais vous voici…

— Mensonges ! mensonges ! interrompit brusquement la babouschka.

— Mais comment avez-vous pu ?… se hâta de reprendre le général en faisant comme s’il n’avait pas entendu ce catégorique « mensonges » ! — comment avez-vous pu vous décider à entreprendre un tel voyage ? Convenez qu’à votre âge, dans l’état de votre santé… Certes, il y a lieu de s’étonner, et notre stupéfaction est pardonnable. Mais que me voilà content !… et nous sommes tous contents, et nous nous efforcerons de vous rendre la saison agréable…

— Bon, bon ! assez ! Tout ce bavardage est inutile. Je n’ai pas besoin de vous tous pour avoir une « saison agréable ». Pourtant je ne vous fuis pas, j’oublie le mal… Bonjour, Praskovia ! Et toi, que fais-tu ici ?

— Bonjour, babouschka, dit Paulina en s’avançant. Y a-t-il longtemps que vous êtes partie ?

— Voici la première question raisonnable qui m’ait été adressée, entendez-vous, vous autres ? Ha ! ha ! ha ! Vois-tu, je m’ennuyais. Rester couchée, être soignée, attendre la guérison, non, j’en avais assez. J’ai mis tout mon monde à la porte, et j’ai appelé le sacristain de l’église de Saint-Nicolas. Il avait guéri du même mal dont je souffre une certaine dame avec une liqueur extraite du foin. Et il m’a guérie, moi aussi. Le troisième jour, après une transpiration abondante, je me suis levée. Mes médecins allemands se sont de nouveau réunis, ont mis leurs lunettes et ont commencé de longues consultations : « Maintenant, me dirent-ils, allez aux eaux, et vous serez tout à fait guérie. » Pourquoi pas ? pensai-je.