Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/71

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
le joueur

— Oui, madame, dit aussitôt de Grillet. Et croyez bien… je suis si enchanté… Votre santé… c’est un miracle !… Vous voir ici… une surprise charmante !…

— Oui, oui, charmante. Je te connais, comédien ! Mais je ne fais pas plus cas de tes paroles que…

Elle fit claquer avec le pouce l’ongle de son petit doigt.

— Et ça, qui est-ce ? demanda-t-elle en désignant de la main Mlle  Blanche.

Cette jeune et élégante amazone avec sa cravache intriguait visiblement la babouschka.

— Est-elle d’ici ?

— C’est Mlle  Blanche de Comminges, et voici sa mère, Mme  de Comminges. Elles habitent ici, lui répondis-je.

— Elle est mariée, la demoiselle ? demanda-t-elle sans autre cérémonie.

Mlle  de Comminges est une jeune fille, répondis-je le plus humblement possible et à demi-voix.

— Elle est gaie ?

Je fis semblant de n’avoir pas compris la question.

— On ne doit pas s’ennuyer avec elle… Sait-elle le russe ? De Grillet, lui, sait un peu notre langue…

Je lui expliquai que Mlle  de Comminges n’était venue qu’une fois en Russie.

— Bonjour, fit soudainement la babouschka, adressant la parole à Mlle  Blanche.

— Bonjour, madame, dit Mlle  Blanche en faisant une gracieuse révérence. Elle affectait la plus extrême politesse, sans pouvoir dissimuler l’étonnement, presque l’effroi, que lui avait causé une interpellation aussi imprévue.

— Oh ! elle baisse les yeux et fait la grimace ! On devine vite quel oiseau c’est là ! Quelque actrice… J’ai pris mon appartement dans ton hôtel, continua-t-elle en s’adressant au général. Je suis ta voisine. Cela te va-t-il ?

— Oh ! ma tante ! Croyez à la sincérité de mon dévouement… de ma satisfaction…