Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
le joueur

orgueilleuse de la babouschka produisait surtout grand effet. Elle regardait du haut en bas, curieusement, tous ceux qui passaient auprès d’elle, les toisait, et demandait à haute voix : « Qui est-ce ? » Elle était de haute taille (cela se devinait, quoiqu’elle ne se levât pas de son fauteuil). Son dos était droit comme une planche et ne touchait pas le dossier. Sa tête grise, aux traits accentués, se dressait orgueilleusement sur son cou. Il y avait de l’arrogance et même de la provocation dans son regard. Mais, ni dans son regard ni dans son geste, on ne démêlait aucun artifice. Malgré ses soixante-quinze ans, elle avait le visage frais, et presque toutes ses dents. Elle portait une robe de soie noire et un bonnet blanc.

— Elle m’intéresse extrêmement, me dit tout bas M. Astley en montant à côté de moi.

— Elle connaît l’histoire des télégrammes, lui répondis-je. Elle connaît aussi de Grillet, mais très peu Mlle Blanche.

Méchant homme que je suis ! Une fois mon premier étonnement passé, j’étais tout au plaisir du coup de foudre que nous allions ménager au général. J’étais aiguillonné, et j’allais en avant, tout joyeux.

La famille du général occupait un appartement au troisième étage. Je ne fis prévenir personne, je ne frappai même pas aux portes ; j’ouvris brusquement, et la babouschka fut introduite comme en triomphe. Le hasard fit bien les choses. Ils étaient tous réunis dans le cabinet du général. Il était midi ; on se disposait pour une partie de plaisir. Les uns devaient aller en voiture, les autres à cheval. Tout le monde était là ; sans compter Paulina, les enfants et leurs bonnes et le général lui-même, il y avait de Grillet, Mlle Blanche en amazone, sa mère, Mme veuve de Comminges, le petit prince et un savant, un Allemand que je voyais ce jour-là pour la première fois.

On déposa le fauteuil de la babouschka juste au milieu