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le joueur

— À la maison certainement, à cette heure-ci.

— Ah ! ah ! ils ont leurs heures ! Que de cérémonies ! C’est le grand genre. N’ont-ils pas leur voiture, ces grands seigneurs ? Une fois leur fortune gaspillée, ils sont allés à l’étranger. Et Praskovia aussi est avec eux ?

— Oui, Paulina Alexandrovna est ici.

— Et le petit Français ? Enfin, je les verrai tous moi-même. Alexis Ivanovitch, montre-moi le chemin, mène-moi vers eux. Et toi, te trouves-tu bien ici ?

— Comme ci, comme ça, Antonida Vassilievna.

— Et toi, Potapitch, dis à cet imbécile de maître d’hôtel qu’on me donne un appartement commode, pas trop haut. Tu y feras porter les bagages… Eh ! qu’ont-ils tous à vouloir me porter ? tas d’esclaves !… Qui est avec toi ?

— M. Astley, répondis-je.

— Quel M. Astley ?

— Un voyageur, un de mes amis. Il connaît aussi le général.

— Un Anglais ? C’est bien ça, il ne lève pas les yeux de dessus ma personne et ne desserre pas les dents. D’ailleurs, je ne déteste pas les Anglais… Maintenant, portez-moi à l’appartement du général.

On enleva la babouschka. Je m’engageai le premier dans le large escalier de l’hôtel. Notre marche était très solennelle. Tous ceux qui nous rencontraient s’arrêtaient sur notre passage et nous regardaient de tous leurs yeux. Notre hôtel passait pour le meilleur, le plus cher et le plus aristocratique de l’endroit. Dans le corridor nous passions auprès de dames élégantes et de richissimes lords. Plusieurs demandaient au maître d’hôtel des renseignements sur l’inconnue qui semblait elle-même très impressionnée. Il ne manquait pas de répondre que c’était « une étrangère de marque, une Russe, une comtesse, une grande dame, qui allait prendre l’appartement occupé huit jours auparavant par la duchesse de N… » La mine