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le joueur

sur lui une certaine impression. Ils eurent un entretien, et, à l’heure du dîner, elle était consolée. Le soir, le comte polonais se montra dans les salons de jeu ayant à son bras Mlle  Zelma. Elle riait très haut, comme à l’ordinaire, plus libre même que d’habitude dans ses manières. Elle était de la catégorie de ces joueuses qui, à la roulette, écartent de vive force les gens assis, pour se faire place. C’est le chic particulier de ces dames ; vous l’aurez certainement remarqué.

— Oh ! oui.

— Elle joua et perdit plus encore que la veille… Pourtant ces dames sont ordinairement heureuses au jeu, comme vous le savez. Elle eut un sang-froid étonnant… D’ailleurs, mon histoire finit là. Le comte disparut comme le prince, un beau matin, sans prendre congé. Le soir de ce jour-là, Mlle  Zelma vint seule au jeu et ne rencontra pas de cavalier de bonne volonté. En deux jours elle fut « nettoyée ». Quand elle eut perdu son dernier louis, elle regarda autour d’elle et aperçut à ses côtés le baron Wourmergelm, qui la considérait très attentivement et avec une indignation profonde. Elle ne prit pas garde à cette indignation, décocha au baron un sourire de circonstance et le pria de mettre pour elle dix louis sur la rouge. La baronne se plaignit, et, le soir même, Mlle  Zelma recevait la défense de paraître désormais à la roulette. Vous vous étonnez que je sois au fait de toute cette chronique scandaleuse ? Je la tiens d’un de mes parents, M. Fider, qui conduisit Mlle  Zelma, dans sa voiture, de Roulettenbourg à Spa. Maintenant, elle veut devenir « générale », probablement pour éviter les notifications de la police. Elle ne joue plus, elle doit prêter sur gages aux joueurs. C’est beaucoup plus lucratif. Je soupçonne même que le pauvre général est son débiteur, et peut-être aussi de Grillet, à moins que ce dernier ne soit, au contraire, son associé. Vous comprenez maintenant qu’elle doit éviter, au moins jusqu’à son