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le joueur

intérêt particulier à éviter une rencontre avec le baron, comme si cette rencontre devait nécessairement être désagréable ou, pis encore, scandaleuse ?

— Et puis ? et puis ?

— Il y a trois ans, Mlle Blanche était déjà ici, à Roulettenbourg. J’y étais aussi. Elle ne s’appelait pas encore Mlle de Comminges, et la veuve de Comminges n’existait pas ; du moins personne n’en parlait. De Grillet n’y était pas non plus. Je suis convaincu qu’il n’y a aucune parenté entre eux et qu’ils ne se connaissent que depuis peu de temps. Je suis même fondé à croire que le marquisat de Grillet est assez récent ; son nom de de Grillet doit être de la même date. Je connais ici quelqu’un qui l’a rencontré jadis sous un autre nom.

— Il a pourtant des relations très sérieuses.

— Qu’importe ? Mlle Blanche aussi !… Or, il y a trois ans, sur la demande de la baronne en question, Mlle Blanche a été invitée par la police à quitter la ville, — et c’est ce qu’elle fit.

— Comment ?…

— Elle était arrivée ici avec un certain prince italien décoré d’un nom historique, — quelque chose comme… Barbarini, — un homme tout constellé de bijoux, de pierreries très authentiques. Il sortait dans un magnifique attelage. Mlle Blanche jouait au trente et quarante, d’abord avec succès, puis avec chance contraire. Un soir, elle perdit une grosse somme. Mais le vrai malheur, c’est que le lendemain matin le prince disparut, et avec lui disparurent chevaux et voitures. La note de l’hôtel s’élevait à un chiffre énorme. Mlle Zelma, — au lieu de Mme Barbarini, elle était devenue Mlle Zelma, — était dans un désespoir extrême. Elle pleurait, criait, et, dans sa rage, déchirait ses vêtements. Il y avait dans le même hôtel un comte polonais. À l’étranger, tous les Polonais sont comtes. Mlle Zelma, qui lacérait ses robes et se déchirait le visage de ses ongles roses et parfumés, produisit