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le joueur

— Bien, bien ! j’en conviens, mais ce n’est plus de cela qu’il s’agit, interrompis-je encore étonné.

Je lui racontai ensuite l’histoire de la veille dans tous ses détails, la sortie de Paulina, mon aventure avec le baron, ma démission, la lâcheté extraordinaire du général, et enfin je lui fis part de la visite du marquis de Grillet et lui montrai le billet.

— Qu’en pensez-vous ? lui demandai-je. Je venais précisément vous demander votre opinion. Quant à moi, j’ai envie de tuer ce petit Français. Hé ! je le tuerai peut-être… Qu’en pensez-vous ?

— Je suis de votre avis. Quant à miss Paulina… vous savez qu’on est parfois obligé d’avoir des rapports avec des gens qu’on déteste… Il y a des nécessités… Il est vrai que sa sortie d’hier est étrange ; non pas que je croie qu’elle ait voulu se défaire de vous en vous ordonnant d’offenser ce baron armé d’une canne dont il n’a pas su se servir, mais parce que cette excentricité ne convient pas à l’excellente distinction de ses manières. Il est d’ailleurs évident qu’elle pensait que vous n’accompliriez pas ses ordres à la lettre…

— Savez-vous, m’écriai-je tout à coup en regardant fixement M. Astley, je suis convaincu que vous connaissiez déjà cette histoire, et que vous la tenez… de Mlle Paulina elle-même !

Il me regarda avec étonnement.

— Vos yeux sont étincelants et j’y lis un soupçon, reprit-il en se maîtrisant aussitôt. Mais vous n’avez pas le moindre droit de me marquer des soupçons de cette nature, je ne vous en donne aucun droit, entendez-vous ? et je me refuse absolument à vous répondre.

— Bien ! assez ! C’est inutile… m’écriai-je avec agitation, sans pouvoir m’expliquer comment cette pensée m’était venue.

En effet, où et quand Paulina aurait-elle pu prendre M. Astley pour confident ? Il est vrai que, ces temps