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le joueur

mai une cigarette. M. Astley ne m’imita pas, et, me regardant bien en face, se disposa à m’écouter.

— Je ne pars pas, commençai-je.

— J’étais sûr que vous resteriez, dit M. Astley avec un air d’approbation.

En allant chez lui, je n’avais pas du tout l’intention de lui parler de mon amour pour Paulina. Je m’étais depuis longtemps aperçu de l’effet qu’elle avait produit sur lui, mais jamais il ne la nommait devant moi. Pourtant, chose étrange, aussitôt qu’il se fut assis, aussitôt qu’il eut fixé sur moi son regard de plomb, il me vint le désir de lui confier mon amour et toutes ses subtilités si compliquées. Je lui en parlai donc, pendant toute une heure, et cela me fut extrêmement agréable, car c’était ma première confidence à ce sujet. Je m’aperçus qu’aux moments où je me laissais emporter par ma passion, il ne pouvait dissimuler une certaine gêne ; et je ne sais pourquoi, en vérité, cela m’excitait à exagérer encore l’ardeur de mon récit. Je ne regrette qu’une chose : peut-être ai-je un peu trop parlé du Français.

M. Astley m’avait écouté jusque-là immobile, taciturne, en me regardant dans le fond des yeux. Mais quand je vins à parler du Français, il m’arrêta net et me demanda sévèrement de quel droit je faisais des suppositions oiseuses sur un point indifférent au sujet de mon récit.

— Vous avez raison, lui dis-je.

— Car vous n’avez le droit de faire sur ce marquis et sur miss Paulina que des suppositions, n’est-ce pas ?

M. Astley posait toujours ses questions d’une manière très étrange. Mais, cette fois, une question si catégorique m’étonna de la part d’un être aussi timide.

— En effet, répondis-je.

— Vous avez donc mal agi, non seulement en me communiquant vos suppositions, mais même en les concevant.