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le joueur

— Comment ! vous avez l’intention de continuer cette maudite affaire ! N’ayez pas cette audace, monsieur, ou bien je vous jure… Il y a des autorités ici, et moi…, moi…, en un mot, mon rang… et celui du baron…, enfin, on vous ar-rê-te-ra, on vous expulsera par voie de police, comprenez-vous ?

— Général, répondis-je toujours calme, on ne peut pas m’arrêter sans motifs. Vous ne savez pas encore dans quels termes je parlerai au baron ; vous vous inquiétez inutilement.

— Pardieu ! pardieu ! Alexis Ivanovitch, renoncez à cette intention ridicule ! dit le général, devenu tout à coup suppliant, — il avait même pris mes mains dans les siennes, — qu’en sortira-t-il ? des désagréments ? Convenez vous-même que je suis forcé de me tenir ici d’une certaine façon, surtout maintenant que… enfin, surtout maintenant ! Oh ! vous ne connaissez pas, vous ne pouvez connaître ma position !… Quand nous partirons d’ici, je suis tout disposé à vous reprendre chez moi, mais pour l’instant… Eh bien ! en un mot, vous comprenez la chose !… s’écria-t-il en faisant un geste de désespoir, Alexis Ivanovitch, vous comprenez la chose !…

Je me retirai en priant le général de ne pas s’inquiéter, en l’assurant que tout se passerait très bien.

À l’étranger, les Russes sont quelquefois lâches ; ils craignent trop le qu’en-dira-t-on. Ils s’inquiètent beaucoup de savoir si une chose est convenable ou non. Ils ont l’âme dans un corset, surtout ceux qui prétendent à une situation en vue. Mais le général m’a laissé entendre que sa situation personnelle est particulièrement difficile. C’est précisément à cause de cette situation particulièrement difficile qu’il était devenu tout à coup si lâche et avait changé de ton avec moi. Mais le lendemain ce sot pouvait changer encore et s’adresser aux autorités ; il fallait donc me tenir sur mes gardes. Je n’avais d’ailleurs aucun intérêt à irriter le général. Mais je voulais