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le joueur

— Hein ? grogna le baron en se tournant vers moi avec un étonnement mêlé de colère.

Je m’arrêtai en continuant de sourire. Il était stupéfait et levait ses sourcils jusqu’à la racine des cheveux. La baronne se retourna aussi de mon côté, très surprise, encore plus courroucée. Les passants commençaient à s’attrouper.

— Hein ? grogna de nouveau le baron en redoublant d’étonnement et de colère.

Ja wohl ! (c’est cela !) traînai-je en continuant à le regarder dans le blanc des yeux.

Sind Sie rasend ? (êtes-vous fou ?) s’écria-t-il en brandissant sa canne. Mais il resta le bras en l’air, plus tremblant de peur que de colère.

C’était, je crois, ma toilette qui l’embarrassait. J’étais mis à la dernière mode, comme un homme du meilleur monde.

Ja wo-o-o-hl ! criai-je tout à coup et de toutes mes forces, en appuyant à la façon des Berlinois qui emploient à chaque instant dans la conversation cette locution et qui traînent sur la lettre o pour exprimer les différentes nuances de leur pensée.

Le baron et la baronne se retournèrent vivement et s’enfuirent épouvantés.

Je retournai sur mes pas et allai, sans me presser, vers Paulina. Mais, cent pas avant de l’atteindre, je la vis se lever avec les enfants et se diriger vers l’hôtel.

Je la rejoignis près du perron.

— J’ai accompli la… bêtise ! lui dis-je.

— Eh bien ! maintenant, débrouillez-vous ! répondit-elle sans me regarder, et elle disparut dans le corridor.

Toute la soirée je me promenai dans la forêt ; dans une petite izba je mangeai une omelette. On me prit pour cette idylle un thaler et demi.

À onze heures seulement je rentrai. On me demanda aussitôt de la part du général ; il m’attendait dans la