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le joueur

Elle me jeta un rapide coup d’œil. Mon ton sarcastique l’irritait ; elle interrompit la conversation.

— Mes affaires ne vous regardent pas. Si vous exigez des renseignements, j’ai des dettes, voilà tout. J’ai emprunté, il faut que je rende. J’avais la folle pensée qu’en jouant je gagnerais à coup sûr. Pourquoi ? Je ne le sais pas moi-même, mais je le croyais. Qui sait ? c’était peut-être ma dernière chance, je n’avais peut-être pas le choix.

— Peut-être vous fallait-il gagner comme il faut qu’un noyé se raccroche à une paille flottante. Mais ce n’est qu’au moment de se noyer qu’on prend les pailles pour des poutres.

— Pourquoi donc y comptez-vous vous-même ? Il y a quinze jours, vous me répétiez sur tous les tons que vous gagneriez « nécessairement », qu’il ne fallait pas vous prendre pour un fou, que c’était très sérieux. Et, en effet, vous parliez sérieusement et on ne pouvait rien trouver de plaisant dans vos paroles.

— C’est vrai, répondis-je, absorbé. Je suis sûr de gagner quand je jouerai pour moi.

— Pourquoi cette certitude ?

— Peut-être parce qu’il faut que je gagne ! C’est peut-être aussi ma seule issue.

— Il vous faut donc aussi beaucoup d’argent ? Mais quelle croyance superstitieuse !

— N’est-ce pas ? Que puis-je faire de beaucoup d’argent, moi ?

— Cela m’est égal ! Mais si vous voulez, eh bien ! oui. Quel motif sérieux pouvez-vous avoir de désirer une fortune ? Qu’en feriez-vous ? Vous êtes un homme sans ordre, instable ; je ne vous ai jamais vu sérieux.

— À propos ! interrompis-je, vous avez une dette, et une jolie dette ! Au Français, n’est-ce pas ?…

— Vous êtes particulièrement insupportable aujourd’hui ! N’êtes-vous pas ivre ?