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le joueur

— C’est un misérable ! dit-elle d’une voix étrange.

Je ne l’avais jamais entendue s’exprimer sur le marquis ; je n’insistai pas, je craignais de trop comprendre.

— Et avez-vous remarqué qu’il est en bons termes aujourd’hui avec le général ?

— Vous voulez tout savoir ? Le général est entre ses mains ; tout est au Français, et si la babouschka ne se dépêche pas de mourir, le Français deviendra propriétaire de toutes les valeurs que le général lui a engagées.

— Je l’avais entendu dire, je ne croyais pourtant pas qu’il s’agissait de choses si graves. Mais, alors, adieu, mademoiselle Blanche ; elle ne sera pas « madame la générale » ; elle abandonnera le général, et il se tuera.

— Possible !

— Comme c’est bien ! Quelle franchise ! Au moins elle n’aura pas dissimulé qu’elle ne l’eût épousé que pour son argent. Pas de cérémonies. Et la babouschka ! « Es-tu morte ? » Télégramme sur télégramme. Qu’en pensez-vous ?

— Vous êtes bien gai ! Est-ce votre perte d’argent qui vous rend si gai ?

— Ne me l’aviez-vous pas donné pour le perdre ? Je ne puis jouer pour les autres, moins pour vous que pour personne. Je vous avais prévenue que nous ne réussirions pas. Dites-moi, vous êtes très en peine d’avoir tout perdu ? Et pourquoi voulez-vous tant d’argent ?

— Et pourquoi ces questions ?

— Mais vous avez promis de m’expliquer… Écoutez ! je suis absolument convaincu que si je joue pour moi je gagnerai. J’ai cent vingt florins. Et alors vous prendrez tout ce que vous voudrez…

Elle fit une moue dédaigneuse.

— Que mon offre ne vous offense pas. Je suis pour vous si peu de chose que vraiment vous pouvez accepter de moi même de l’argent ! Un présent de moi est sans conséquence. D’ailleurs, j’ai perdu votre argent.