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— Oui, et nous irons aussi voir le Barbier de Séville, on le donne bientôt.

— Oh ! dit Nastenka, plutôt quelque autre chose.

— Comme vous voudrez, je n’y pensais pas.

Tout en parlant, nous allions sans savoir où nous étions, nous arrêtant, nous remettant à marcher, redevenant graves après avoir beaucoup ri et pleuré, pour aller, Dieu sait où, pleurer et rire encore. Nastenka voulait rentrer, je ne la retenais pas, je l’accompagnais, et un quart d’heure après, nous nous retrouvions, assis sur notre banc, puis elle soupirait ; je redevenais timide… jusqu’à ce que sa main vînt chercher la mienne, et alors nous recommencions à bavarder.

— Il est temps de rentrer, il est déjà très tard, dit enfin Nastenka, c’est assez faire les enfants.

— Je ne dormirai guère cette nuit, Nastenka ! D’ailleurs, je ne rentrerai pas.

— Je ne dormirai guère non plus, accompagnez-moi. Mais allons bien chez nous, cette fois ?

— Absolument, absolument.

— Parole d’honneur ? car tout de même il faut rentrer.

— Parole… Regardez le ciel, Nastenka, il fera beau demain. Le ciel est bleu ! Quelle lune ! Ah ! un nuage ! Bon ! il est passé !

Nastenka ne regardait pas les nuages ; elle ne parlait plus ; je sentis sa main trembler dans la mienne, et à ce moment, un jeune homme passa près de nous, il s’arrêta, nous regarda fixement et fit de nouveau quelques pas.

— Nastenka, dis-je à demi-voix, qui est-ce ?

— C’est lui, répondit-elle d’une voix très basse et en se serrant davantage contre moi.

Je tressaillis, j’eus peine à rester debout.

— Nastenka ! dit une voix derrière nous, Nastenka.

Dieu ! quel cri, comme elle s’arracha de moi et vola à sa rencontre ! J’étais comme foudroyé ! Mais elle ne l’eut