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dire…) je pensais que (il va sans dire que cela est impossible, Nastenka), je pensais que d’une façon quelconque… vous ne l’aimiez plus. Alors, — je pensais à cela hier et avant-hier, Nastenka — alors s’il en était ainsi, je tâcherais de me faire aimer de vous, absolument. Ne me disiez-vous pas que vous êtes tout près de m’aimer ? Eh bien… il me reste à dire… Qu’est-ce qui arriverait si vous m’aimiez ? Mon amie, car vous êtes en tous cas mon amie, je suis certes un homme simple, sans importance, mais ce n’est pas l’affaire, je ne sais pas m’expliquer, Nastenka. Seulement, je vous aimerais tant, Nastenka, je vous aimerais tant, que si vous l’aimiez encore, oui, même si vous aimiez encore celui que je ne connais pas, du moins vous ne remarqueriez jamais que mon amour vous pesât. Et je vous aurais tant de reconnaissance !… Ah ! qu’avez-vous fait de moi ?

— Ne pleurez donc pas, dit Nastenka en se levant ; allons, levez-vous, venez avec moi ; je vous défends de pleurer. Finissez… Soit. Puisqu’il m’abandonne, m’oublie, quoique je l’aime encore (je ne veux pas vous tromper)… si par exemple je vous aimais, c’est-à-dire si, seulement si… Ô mon ami, quand je pense que je vous ai offensé, que je vous ai félicité de n’être pas amoureux de moi… Sotte ! mais je suis décidée…

— Nastenka, je m’en vais, car au fond je vous fais souffrir. Voilà que vous avez des scrupules à mon sujet, comme si vous n’aviez pas assez de votre chagrin. Adieu, Nastenka.

— Attendez donc.

— Attendre quoi ?

— Je l’aime, mais ça passera… Qui sait ? Peut-être sera-ce fini aujourd’hui même. Je veux le haïr, n’est-il pas en train de se moquer de moi. Qui sait ? il ne m’a peut-être jamais aimée ; je vous aime, mon ami, oui, je vous aime, je vous aime comme vous m’aimez. Je vous aime plus que lui…