Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que vous n’étiez, Nastenka : il n’aimait alors personne…

— Que me dites-vous ? Je n’ai pas tout compris, mais quoi ? Cela vous prend tout à coup ?… Mais quelle sottise je dis !…

Nastenka resta très confuse ; ses joues s’allumaient ; elle baissa les yeux.

— Mais que faire, Nastenka ? Que dois-je faire ? Ai-je tort de vous aimer ? Non, cela ne peut vous offenser. J’étais votre ami, eh bien ! je le suis toujours, rien n’est changé… Voilà que je pleure, Nastenka ; je suis ridicule, n’est-ce pas ? Bah ! laissez-moi pleurer, cela ne gêne personne ; mes larmes sécheront, Nastenka.

— Mais asseyez-vous donc, asseyez-vous ! dit-elle.

— Non, Nastenka, je ne m’assiérai pas, je ne peux plus rester ici, vous ne pouvez plus me voir : je n’ai plus qu’un mot à vous dire et je m’en vais ; voici : vous n’auriez jamais su que je vous aime, j’aurais gardé mon secret ; mais, c’est votre faute ; vous m’avez forcé à parler, je vous ai vue pleurer, je n’ai pu y tenir, j’ai tout dit et… et vous n’avez plus le droit de m’éloigner de vous…

— Mais qui vous dit de vous éloigner ?

— Quoi ! vous ne me dites pas de m’en aller ? et moi qui voulais de moi-même vous quitter ? Et en effet, je m’en irai ; mais auparavant je vous dirai tout. Tout à l’heure, quand vous pleuriez, je ne pouvais me tenir en place ; quand vous pleuriez, vous savez… parce qu’un autre ne veut pas de votre amour. J’ai senti, moi, dans mon cœur tant d’amour pour vous, Nastenka, tant d’amour ! Et je ne pouvais plus me taire…

— Oui, oui, parlez, dit Nastenka avec un geste inexplicable. Ne me regardez pas ainsi ; je vous expliquerai… Parlez d’abord.

— Vous avez pitié de moi, Nastenka ? Vous avez tout simplement pitié de moi, ma petite amie ; mais qu’importe ! C’est bien ; tout cela est honnête ; mais voyez-vous, tout à l’heure je pensais (oh ! laissez-moi vous