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pleure plus… vous pensez peut-être que je vais… me tuer… me noyer…

Mon cœur était plein ; je voulais parler et je ne pouvais. Elle me prit la main :

— Vous n’auriez pas agi ainsi, vous n’auriez pas abandonné celle qui était venue à vous d’elle-même ; vous auriez eu pitié d’elle ; vous vous représenteriez qu’elle était toute seule, qu’elle ne savait pas se gouverner, qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de vous aimer, qu’elle n’est pas coupable enfin ! qu’elle n’est pas coupable… qu’elle n’a rien fait !… mon Dieu ! mon Dieu !

— Nastenka ! m’écriai-je, Nastenka ! vous me déchirez le cœur ! vous me tuez ! Nastenka ! je ne puis plus me taire, il faut que je vous dise… ce qui bouillonne dans mon cœur.

Je me levai. Elle retint ma main et me regarda, étonnée.

— Qu’avez-vous ?

— Nastenka, dis-je avec décision, tout cela est sot, impossible ; au nom de toutes vos souffrances, je vous supplie de me pardonner…

— Mais quoi ? quoi ? dit-elle, cessant de pleurer et me regardant fixement, tandis qu’une curiosité étrange étincelait dans ses yeux étonnés. Qu’avez-vous ?

— Irréalisable !… Mais je vous aime, Nastenka ! voilà ce qui est ! Et maintenant tout est dit, fis-je en laissant désespérément tomber ma main. Maintenant, voyez si vous pouvez me parler comme vous faisiez tout à l’heure, si vous pouvez écouter ce que je veux vous dire…

— Mais quoi donc ? interrompit Nastenka ; mais que va-t-il me dire ? Il y a longtemps que je le sais ; mais il me semblait toujours que vous m’aimiez simplement, comme ça…

— En effet, Nastenka, c’était d’abord simple, et maintenant, maintenant… je suis comme vous étiez quand vous êtes allée chez lui avec votre petit paquet, et je suis plus à plaindre