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aujourd’hui !… mais non, il est bien qu’il y ait une lettre… et d’ailleurs ils sont déjà ensemble…

QUATRIÈME NUIT

Dieu ! comme tout cela a fini ! comme tout cela a fini ! Je suis arrivé à neuf heures, elle était déjà là. Je la vis de loin accoudée au parapet du quai ; elle ne m’entendit pas approcher.

— Nastenka ! appelai-je en maîtrisant mon émotion.

Elle se retourna vivement vers moi.

— Eh bien ! dit-elle, eh bien ! Vite !

Je la regardai avec étonnement.

— Eh bien ! la lettre, l’avez-vous apportée ? dit-elle en se retenant de la main au parapet.

— Non, je n’ai pas de lettre, finis-je par dire, n’est-il donc pas encore venu ?

Elle pâlit affreusement et me regarda longtemps, longtemps ; j’avais brisé son dernier espoir.

— Eh bien ! que Dieu lui pardonne, dit-elle enfin d’une voix entrecoupée, que Dieu lui pardonne.

Elle baissa les yeux, puis voulut me regarder, mais ne put ; pendant quelques instants encore elle s’efforça de dominer son émotion et tout à coup se détourna, s’accouda au parapet et éclata en sanglots.

— Voyons ! cessez donc ! commençai-je à dire. Cessez donc…

Mais je n’eus pas la force de continuer en la regardant, et d’ailleurs qu’avais-je à lui dire ?

— N’essayez pas de me consoler, disait-elle en pleurant, ne me parlez pas de lui, ne dites pas qu’il viendra, qu’il ne m’a pas abandonnée. Pourquoi ? Y avait-il donc