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gêné), mais je sais être reconnaissante… Oh ! que Dieu vous donne du bonheur ! Ce que vous me disiez de votre rêveur n’est pas vrai du tout ; c’est-à-dire ce n’est pas vous du tout, ou du moins vous êtes guéri ; vous êtes un tout autre homme que celui que vous avez décrit. Si jamais vous aimez quelqu’un, que Dieu vous fasse heureux ! et celle que vous aimerez, je ne lui souhaite rien de plus, car elle sera heureuse, puisque vous l’aimerez… je suis une femme, vous pouvez m’en croire, je m’y connais…

Elle se tut et me serra fortement la main ; j’étais si ému que je ne pouvais parler.

— Oui, il est probable qu’il ne viendra pas aujourd’hui, dit-elle après un silence. C’est déjà tard.

— Il viendra demain.

— Oui, demain, je vois bien, il viendra demain. Au revoir donc, à demain. S’il pleut je ne viendrai pas, mais après-demain je viendrai sûrement, quelque temps qu’il fasse, je viendrai absolument. Il faut que je vous voie.

Et en me quittant, elle me tendit la main et elle dit en me regardant d’un air très calme :

— Nous sommes unis pour toujours.

(Ô Nastenka ! Nastenka ! comme je suis seul pourtant !)

Neuf heures : je n’ai pu rester dans ma chambre ; je me suis habillé et je suis sorti malgré le mauvais temps.

Je suis allé … Je me suis assis sur notre banc. Puis je poussai jusqu’à la ruelle, mais je me sentis honteux et je revins sur mes pas sans avoir regardé ses fenêtres ; mais je n’avais pas fait deux pas que déjà je retournais tant j’étais triste. Quel temps ! S’il faisait beau, je me promènerais toute la nuit…

Mais à demain, à demain ! Demain elle me racontera tout. Pourtant, s’il se pouvait qu’il n’y eût pas de lettre