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— Onze heures ! dit-elle d’une voix indécise, onze heures !

Je me repentis aussitôt de l’espèce de crise de méchanceté qui m’avait obligé à lui faire remarquer cette heure, pour elle si triste. Et je me sentis triste comme elle ; je ne savais comment réparer ma faute. Je cherchais à cette absence prolongée des explications et j’en trouvais. D’ailleurs, dans un tel moment on accueille si volontiers les plus improbables consolations ! On est si heureux de la moindre apparence d’excuse !

— Oui ! et chose étrange, commençai-je en m’échauffant déjà et en admirant la clarté extraordinaire de mes arguments ; vous m’avez fait partager votre erreur, Nastenka ! Mais il ne pouvait pas venir… pensez seulement, c’est à peine s’il a votre lettre. Eh bien ! il est empêché, il va vous répondre et vous n’aurez sa réponse que demain. J’irai la chercher dès que le jour poindra, et vous la ferai aussitôt parvenir !… N’est-ce pas, il n’était pas chez lui quand votre lettre est arrivée ; ou bien il n’est même pas encore rentré !… tout est possible.

— Oui, oui, répondit Nastenka, je n’y pensais pas, certainement cela peut arriver, continua-t-elle d’une voix très convaincue, mais où perçait une dissonance de dépit. Voici ce que vous ferez : vous irez demain le plus tôt possible et si vous avez quelque nouvelle, faites-le-moi savoir aussitôt… Vous savez mon adresse…

Et tout à coup elle devint si tendre, si timidement tendre avec moi !… elle semblait écouter attentivement ce que je lui disais ; mais à une certaine question, elle se tut, et détourna sa petite tête ; je la regardai dans les yeux, elle pleurait.

— Allons, est-ce possible ? quel enfantillage ! Cessez donc !

Elle essaya de sourire et se calma ; mais son menton tremblait et sa poitrine se soulevait encore.

— Je pense à vous ! me dit-elle après un silence ; vous