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Je pensais qu’après cela il viendrait chez nous de plus en plus souvent, mais pas du tout ; il cessa presque tout à fait ; une fois seulement par mois, il venait nous inviter à l’accompagner au théâtre. Nous y allâmes encore deux fois, mais je n’étais pas contente. Je voyais pourtant qu’il me plaignait d’être prisonnière chez ma babouschka. Je ne pouvais me tenir tranquille, ni lire, ni travailler. Parfois je faisais des méchancetés à ma babouschka, et d’autre fois je pleurais sans motif, je maigrissais, je faillis tomber malade. La saison de l’Opéra passa et notre locataire ne vint plus du tout, et quand nous nous rencontrions dans l’escalier il saluait toujours silencieusement, sérieusement, comme s’il ne voulait même pas parler, et il était déjà descendu sur le perron que j’étais encore à la moitié de l’escalier, tout mon sang au visage.

Que faire ? Je réfléchissais, oh ! je réfléchissais et je me désolais, puis enfin je me décidai ; il devait partir le lendemain et voici ce que je fis, le soir, quand ma babouschka fut couchée ; je fis un petit paquet de tous mes habits et, le prenant à la main, je montai, plus morte que vive, au pavillon, chez notre locataire. Je pense que je mis toute une heure à monter. Il m’ouvrit la porte et poussa un cri en m’apercevant, me prenant peut-être pour un fantôme, puis il se précipita pour me donner de l’eau, car je me tenais à peine debout.

J’avais mal à la tête et je perdais la vue nette des choses ; en revenant à moi, je posai mon petit paquet sur le lit, je m’assis auprès, cachai mon visage dans mes mains et me mis à pleurer comme trois fontaines ; il semblait avoir tout compris et me regardait si tristement que mon cœur se déchirait.

— Écoutez, commença-t-il, Nastenka, je ne puis rien ! je suis un homme pauvre : pour le moment je n’ai rien, pas même une petite place ; comment vivrions-nous si je vous épousais ?

Nous parlâmes longuement ; enfin je me sentis hors