Page:Dostoïevski - Le Joueur - Les Nuits Blanches, trad. Kaminski, ed. Plon, 1925.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
les nuits blanches

paternelle et les abandonnent ensuite. J’ai lu beaucoup de ces livres. Ils sont si bien écrits qu’ils vous tiennent sans dormir toute la nuit… Quels livres a-t-il envoyés ?

— Des romans de Walter Scott.

— Ah ! n’y a-t-il pas ici quelque tour ? N’y a-t-il pas quelque billet d’amour glissé entre les pages ?

— Non, dis-je, babouschka, il n’y a pas de lettre !

— Mais regarde bien dans la reliure ! c’est souvent leur cachette, à ces brigands.

— Non, babouschka, dans la reliure non plus !

— Bien alors !

Et nous nous mîmes à lire Walter Scott. En un mois nous en lûmes près de la moitié. Notre locataire nous envoya ensuite Pouschkine. Et je pris un goût extrême à la lecture. Et je ne rêvai plus d’épouser un prince chinois.

Les choses en étaient là quand un jour il m’arriva de rencontrer notre locataire dans l’escalier. Il s’arrêta. Je rougis. Il rougit aussi, puis sourit, me salua, demanda des nouvelles de la babouschka et si j’avais lu ses livres.

— Oui ! tous !

— Et lequel vous a plu davantage ?

Ivanhoé ! répondis-je.

Pour cette fois la conversation en resta là. Huit jours après je le rencontrai de nouveau dans l’escalier.

— Bonjour, dit-il.

— Bonjour.

— Ne vous ennuyez-vous pas toute la journée, seule avec la babouschka ?

Je ne sais pourquoi je rougis. Je me sentais honteuse et humiliée. Il me déplaisait qu’un étranger me fît cette question. Je voulus m’en aller sans répondre ; je n’en eus pas la force.

— Vous êtes une charmante jeune fille, me dit-il. Pardonnez-moi ce que je vous ai dit. C’est que je vous souhaite une compagnie plus gaie que celle de la ba-