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les nuits blanches

que ma babouschka. Au second, il y a un pavillon que nous n’occupons pas. Un beau jour, nous prîmes un nouveau locataire.

— Par conséquent il y avait aussi un ancien locataire ? remarquai-je en passant.

— Mais bien sûr, il y en avait un, et qui savait se taire mieux que vous. Il est vrai qu’il ne pouvait remuer la langue. Un petit vieillard, sec, muet, aveugle, boiteux, de sorte qu’enfin il lui était impossible de vivre davantage. Et voilà, il était mort. Et alors nous avons eu besoin d’un nouveau locataire, car sans locataire nous ne pouvons vivre. Le loyer constitue, avec la pension de la babouschka, tous nos revenus. Comme un fait exprès, le nouveau locataire était un jeune homme, un étranger, un voyageur. Il ne marchanda pas, la babouschka le laissa emménager sans le questionner ; mais après elle me demanda :

— Nastenka, notre locataire est-il jeune ou vieux ?

— Comme ça, babouschka (je ne voulais pas mentir), pas tout à fait jeune, mais pas un vieillard.

— Et d’un agréable extérieur ?

— Oui, babouschka, d’un assez agréable extérieur.

— Quel malheur !… Je t’en prie, ma petite fille, et pour cause… ne va pas trop le regarder ! Dans quel siècle vivons-nous ! Voyez donc, hein ! ce petit locataire « d’un assez agréable extérieur » ! Mon Dieu ! ce n’était pas ainsi de mon temps…

La babouschka parlait toujours de son temps : le soleil était plus chaud de son temps ; tout était meilleur de son temps.

Et je me mets à penser en moi-même : Pourquoi donc la babouschka me demande-t-elle si le locataire est beau et jeune ? Et puis je me mis à compter les mailles du bas que je tricotais.

Voilà qu’un matin, le locataire entre chez nous et demande qu’on mette un nouveau papier dans sa