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les nuits blanches

HISTOIRE DE NASTENKA

— La moitié de l’histoire, vous la connaissez déjà : vous savez que j’ai une babouschka.

— Si l’autre moitié est aussi longue…

— Taisez-vous et écoutez. Une condition : ne pas m’interrompre, ou bien je me tromperais ; il faut vous taire toujours. J’ai donc une vieille babouschka. Je suis tombée chez elle toute petite fille, car ma mère et mon père sont morts jeunes. Ma babouschka a été jeune (il y a longtemps !). Elle m’a fait apprendre le français et un tas de choses. À quinze ans — j’en ai dix-sept — j’avais fini mes études : je ne vous dirai pas ce que j’ai fait. Oh ! rien de grave. Mais ma babouschka, comme je vous l’ai dit, m’épingla à sa robe et me prévint que nous passerions ainsi toute notre vie. Il m’était impossible de m’en aller ; il fallait toujours étudier auprès de la babouschka. Une fois j’ai rusé, j’ai persuadé Fekla, notre bonne, de se mettre à ma place. Pendant ce temps la babouschka s’endormit dans son fauteuil et moi je m’en allai, pas loin, chez une amie. Cela finit mal. La babouschka s’éveilla pendant mon absence et me demanda quelque chose : or, Fekla est sourde : elle eut peur, se décrocha et s’enfuit…

Ici Nastenka s’interrompit pour rire. Je riais aussi, mais elle s’en fâcha.

— Il ne faut pas rire de ma babouschka ! je l’aime tout de même, savez-vous ? Ah ! comme je fus corrigée. On me remit aussitôt à ma place, et depuis je n’osai plus m’échapper, jusqu’au jour où… J’oubliais de vous dire que ma babouschka a une maison : toute petite, seulement trois fenêtres ; une maison en bois aussi vieille