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les nuits blanches

— Eh bien, voilà : je suis un type.

— Un type ! quel type ? s’écria la jeune fille en se mettant à rire comme si elle n’en avait pas eu, depuis tout un an, l’occasion. Mais vous êtes très amusant ! Tenez, voici un banc ; asseyons-nous ; personne ne passe, personne ne nous entendra. Commencez votre histoire, car vous me trompiez, vous avez une histoire ! D’abord, qu’est-ce qu’un type ?

— Un type, c’est un homme ridicule ! répondis-je en commençant à rire, gagné par son rire d’enfant, c’est un caractère ! c’est un… Mais savez-vous ce que c’est qu’un rêveur ?

— Un rêveur ! Permettez, je suis moi-même un rêveur ! Que de choses il me passait par la tête pendant les longues journées près de ma babouschka ! Ils allaient loin, mes rêves ! Une fois j’ai rêvé que j’épousais un prince chinois ! C’est quelquefois bon de rêver.

— Magnifique ! Ah ! si vous êtes femme à épouser un prince chinois, vous me comprendrez très bien… Mais permettez, je ne sais pas encore comment vous vous appelez.

— Enfin ! vous y pensez donc ?

— Ah ! mon Dieu ! Cela ne m’est pas venu : je me sentais si bien…

— On m’appelle Nastenka.

— Et c’est tout ?

— C’est tout. N’est-ce pas assez pour vous ?

— Oh ! beaucoup ! beaucoup ! au contraire, beaucoup ! Nastenka !

— Alors ?…

— Alors, Nastenka, écoutez donc ma risible histoire.

Je m’assis près d’elle, je pris une pose grave et pédante et je commençai comme si je lisais dans un livre.

— Il y a, Nastenka, à Saint-Pétersbourg, — vous l’ignoriez peut-être, — des coins assez étranges. Le soleil qui brille partout ne les éclaire pas. Il y luit comme