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les nuits blanches

mais je suis contente de ne pas m’être trompée sur vous… Eh bien, me voici chez moi. Il faut traverser cette petite ruelle, et il n’y a plus que deux pas. Adieu. Merci.

— Alors, nous ne nous verrons plus jamais ; c’est fini ?

— Voyez-vous ! dit en riant la jeune fille, vous ne vouliez d’abord que deux mots, et maintenant… Du reste, nous nous reverrons peut-être…

— Je viendrai ici demain… Oh ! pardon, je suis déjà exigeant.

— Oui, vous n’avez pas de patience, vous ordonnez presque…

— Écoutez-moi, interrompis-je, je ne puis pas ne pas venir ici demain. Je suis un rêveur ; j’ai si peu de vie réelle, j’ai si peu de moments comme celui-ci, que je ne puis pas ne pas les revivre dans mes rêves. Je rêverai de vous toute la nuit, toute la semaine, toute l’année. Je viendrai ici demain, absolument, précisément ici, demain, à la même heure, et je serai heureux de m’y souvenir de la veille… Cette place m’est déjà chère. — J’ai deux ou trois endroits pareils dans Pétersbourg. Dans l’un d’eux, j’ai pleuré… d’un souvenir. Qui sait ? il y a dix minutes, vous aussi vous pleuriez peut-être pour quelque souvenir. Peut-être autrefois avez-vous été très heureuse ici ?

— Je viendrai peut-être aussi demain à dix heures ; je vois que je ne peux plus vous le défendre… Mais, il ne faut pas venir ici. Ne pensez pas que je vous fixe un rendez-vous ; je prévois seulement que j’aurai à venir ici pour mes affaires ; mais… eh bien, franchement, je ne serai pas fâchée que vous y veniez aussi. D’abord, je puis avoir encore des désagréments comme aujourd’hui ; mais laissons cela… En un mot, je voudrais tout simplement vous voir… pour vous dire deux mots. N’allez pas me juger mal pour cela. Ne pensez pas que je donne si facilement des rendez-vous ; je ne vous aurais pas dit cela