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les nuits blanches

tremblante encore de frayeur. Oh ! le monsieur inattendu, comme je le bénissais !

Je jetai un rapide regard sur elle. Elle était brune comme je l’avais deviné, et fort jolie. Ses yeux étaient encore mouillés de larmes ; mais ses lèvres souriaient. Elle me regarda furtivement, rougit un peu et baissa les yeux.

— Vous voyez ! Pourquoi m’aviez-vous repoussé ? Si j’avais été là, rien ne serait arrivé…

— Mais je ne vous connaissais pas ; je croyais que vous aussi…

— Me connaissez-vous davantage, maintenant ?

— Un peu. Par exemple, vous tremblez ; pensez-vous que je ne sache pas pourquoi ?

— Oh ! vous avez deviné du premier coup ! m’écriai-je transporté de joie que la jeune fille fût si intelligente, car l’intelligence et la beauté vont très bien ensemble. — Oui, vous avez deviné à qui vous aviez affaire. C’est vrai, je suis timide avec les femmes. Je suis même plus ému maintenant que vous ne l’étiez, vous, quand ce monsieur vous a fait peur. C’est comme un rêve… Non, c’est plus qu’un rêve ; car jamais, même en rêve, il ne m’arrive de parler à une femme.

— Que dites-vous ? Vraiment ?

— Oui. Si mon bras tremble, c’est que jamais encore une aussi jolie petite main ne s’y est appuyée. Je n’ai pas du tout l’habitude des femmes… J’ai toujours vécu seul. Aussi je ne sais pas leur parler. Peut-être bien vous ai-je déjà dit quelque sottise ; parlez franchement, vous le pouvez, je ne suis pas susceptible…

— Vous n’avez pas dit de sottise, pas du tout, au contraire, et puisque vous voulez que je vous parle franchement, je vous dirai qu’une telle timidité plaît aux femmes, et si vous voulez tout savoir je vous dirai encore qu’elle me plaît particulièrement. Aussi je vous permets de m’accompagner jusqu’à ma porte.