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le joueur

passés… J’avais risqué ma vie, j’avais gagné, j’étais de nouveau un homme.

Je louai une chambre, je m’enfermai, et, jusqu’à trois heures du matin je restai debout, occupé à compter mon argent.

Je me réveillai homme libre.

Je décidai d’aller à Hombourg, où je n’avais jamais été ni domestique ni prisonnier.

Quelques instants avant de partir, je me rendis à la roulette pour ponter deux fois seulement, et je perdis quinze cents roubles. Je partis néanmoins, et voilà deux mois que je suis à Hombourg…

Je vis dans la fièvre. Je joue de très petites mises ; j’attends quelque événement qui ne vient pas. Je passe des journées entières près de la table de jeu et j’observe. Je joue même en rêvant. Je suis toujours comme engourdi ; j’en ai pu juger surtout par l’impression que j’ai produite sur M. Astley.

Nous nous sommes rencontrés par hasard.

Je marchais dans le jardin, calculant qu’il me restait cinquante florins et que je ne devais rien à l’hôtel où j’occupais un cabinet. Je puis donc aller au moins une fois à la roulette, me disais-je. Si je gagne, je pourrai continuer le jeu ; si je perds, il faudra m’engager comme domestique ou comme outchitel. Tout en rêvant à ces ennuis, je traversai la forêt et passai dans la principauté voisine. Il m’arrivait de marcher ainsi quatre heures de suite, et je revenais à Hombourg, harassé et affamé. Tout à coup, j’aperçus M. Astley qui me faisait signe de venir. Il était assis sur un banc. Je pris place auprès de lui. Il avait l’air préoccupé, ce qui diminua la joie que j’avais de le revoir.

— Vous étiez donc ici ? Je pensais bien vous rencontrer, me dit-il. Ne vous donnez pas la peine de me raconter votre vie durant ces dix-huit mois ; je la connais.

— Bah ! Vous espionnez donc vos amis ? Au moins,