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le joueur

vient de sortir de chez moi, ou plutôt il y a dix minutes ! Où peut-elle être ?

La bonne me regarda sévèrement.

Cependant, on ne parlait dans tout l’hôtel que de Paulina. On se chuchotait chez le majordome que la fraulein[1] était sortie dès six heures du matin de l’hôtel et qu’elle avait couru nu-tête du côté de l’hôtel d’Angleterre. On savait donc qu’elle avait passé la nuit dans ma chambre ? Du reste, les cancans sur la famille du général ne tarissaient pas. On savait le général presque fou ; on se disait qu’il remplissait l’hôtel de ses larmes ; on disait aussi que la babouschka, sa mère, était venue exprès de Russie pour l’empêcher d’épouser Mlle  de Comminges, qu’elle l’avait déshérité parce qu’il n’avait pas voulu céder, et qu’elle avait perdu tout son argent exprès à la roulette.

Diese Russen[2] ! répétait le majordome avec indignation en hochant la tête.

D’autres riaient. Le majordome préparait sa note. On savait aussi mon gain de la veille. Karl, le domestique de mon étage, me félicita le premier. Mais tout cela m’était égal. Je me mis à courir vers l’hôtel d’Angleterre.

Il était trop tôt ; M. Astley ne recevait personne. Quand on lui fit savoir qui le demandait, il sortit dans le corridor, vint silencieusement à ma rencontre et fixa sur moi son regard lourd, attendant ce que j’avais à lui dire. Je lui parlai aussitôt de Paulina.

— Elle est malade, répondit-il sans me regarder en face.

— Elle est donc réellement chez vous ?

— Oui, oui, chez moi.

— Mais comment ?… Vous avez l’intention de la garder chez vous ?

  1. Jeune fille.
  2. Ô ces Russes !