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le joueur

— Mais ils étaient à toi dès que je les eus.

— Eh bien ! les voilà, tes cinquante mille francs !

Elle leva la main, me jeta avec force les liasses de billets en plein visage et sortit en courant.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je sais qu’elle était en ce moment comme folle, mais je ne puis comprendre cet accès de folie. Il est vrai que, maintenant encore, un mois après cette soirée, elle n’est pas guérie. Qu’est-ce qui l’avait mise en cet état ? Était-ce le regret d’être venue à moi ? Lui ai-je laissé voir trop de vanité de ce bonheur ? A-t-elle cru que je voulais, comme de Grillet, me délivrer d’elle en lui donnant cinquante mille francs ? Il n’en était rien, certes. Je pense que son amour-propre était pour beaucoup dans tout cela. C’est cet amour-propre qui la dissuada de me croire. Elle m’offensait sans se rendre exactement compte de son offense. Elle s’est vengée de de Grillet sur moi. Il est vrai que tout cela n’était que l’effet du délire, et que je n’aurais pas dû l’oublier. Peut-être ne me pardonnera-t-elle pas de l’avoir oublié, maintenant : mais alors, alors ? Son délire ne lui enlevait donc pas la conscience de ses actes ? Elle savait donc ce qu’elle faisait en venant chez moi avec la lettre de de Grillet ?

Je ramassai tant bien que mal tous les billets et le tas d’or ; je mis le tout dans mon lit, sous mon matelas, et, dix minutes après le départ de Paulina, je sortis. J’étais convaincu qu’elle était rentrée chez elle, et je voulais m’introduire furtivement chez eux et demander à la bonne comment allait la barichnia[1]. Quel ne fut pas mon étonnement quand j’appris de la bonne que Paulina n’était pas encore rentrée et que la bonne elle-même était sur le point de venir la chercher chez moi.

— À l’instant même, lui dis-je, à l’instant même elle

  1. Fille de barine.