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le joueur

autres Russes, nous ne savons rien par nous-mêmes, que nous ne sommes capables de rien et que nous devons tout aux Européens… Mais il est très bon. Il excuse le général. Il dit que Blanche… la passion… Enfin, je ne sais pas moi-même, le pauvre ! Je le plains !… Écoute, comment tueras-tu de Grillet ? As-tu pensé que je te laisserai te battre avec lui ? Mais tu ne tueras personne, pas même le baron. Oh ! que tu étais drôle avec le baron ! Je vous regardais tous les deux ; comme tu étais ridicule ! C’est que tu ne voulais pas y aller, il a fallu pourtant ! Ah ! que j’ai ri alors !

Et, tout en riant encore, elle se mit de nouveau à m’embrasser, à me serrer dans ses bras, reprise d’une crise de tendresse. Je ne pensais plus à rien, je n’entendais plus rien ; c’est alors que la tête me tourna…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il devait être sept heures du matin quand je revins à moi. Le soleil éclairait la chambre. Paulina était assise près de moi et me regardait étrangement, se détournant parfois pour regarder la table et l’argent.

J’avais mal à la tête. Je voulus prendre la main de Paulina, mais elle me repoussa et se leva. Elle s’approcha de la fenêtre, l’ouvrit et resta appuyée à la croisée pendant trois minutes. Je me demandais : que va-t-il arriver ? comment tout cela finira-t-il ? Tout à coup, elle revint à la table et, me regardant avec une haine extraordinaire, me dit, les lèvres tremblantes de colère :

— Eh bien, rends-moi maintenant mes cinquante mille francs.

— Paulina, encore ? encore ?

— Tu as peut-être réfléchi ? Ha ! ha ! ha ! Tu les regrettes déjà ?

Les vingt-cinq mille florins étaient encore en tas sur la table ; je les pris et les lui remis.

— Ils sont bien à moi, n’est-ce pas ? me demanda-t-elle avec une physionomie méchante.