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le joueur

— Vingt-deux, crie le croupier.

Je gagnais. Je remets de nouveau le tout, mise et premier gain.

— Trente et un.

Encore gagné.

J’avais déjà quatre-vingts louis. Je remets le tout sur la douzaine du milieu. (Le gain est triple, mais on a deux chances de pertes contre une.)

— Vingt-quatre.

On me donne trois rouleaux de cinquante louis et dix pièces d’or. J’avais en tout deux cents louis. J’étais comme dans une hallucination. Je mets le tout sur la rouge, — et voilà que, brusquement, je reviens à moi et suis pris de terreur. Mais ce sentiment s’effaça vite et ne reparut pas. — Je comprenais tout ce que je risquais à perdre : tout, ma vie…

— Rouge.

Je respirai. Puis des frissons enflammés m’envahirent quand je retirai les billets de banque. J’avais, en tout, quatre mille florins et quatre-vingts louis.

Je mets deux mille florins sur la douzaine du milieu et les perds. Mon or et quatre-vingts louis sur les mêmes numéros : perdu encore. La rage me prit. Je saisis les autres deux mille florins et les mis sur la première douzaine, sans réflexion, sans calcul. Pourtant, je me rappelle que j’eus une sensation… une sensation qui ne me semble comparable qu’à celle que dut éprouver Mme  Blanchard quand elle tomba de son ballon.

— Quatre.

De nouveau j’avais six mille florins. Je m’estimais déjà certain de la victoire. Je jetai quatre mille florins sur le noir. Neuf joueurs m’imitèrent. Les croupiers se regardaient. Tout autour on causait, dans l’attente.

— Noire.

À partir de ce moment, je ne me souviens d’aucune mise, d’aucun compte. Je me rappelle seulement, comme