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le joueur

— Je n’attendais rien, répondit-elle très calme, mais sa voix tremblait. Je suis résolue à tout depuis longtemps. Je le connais. Il a pensé que je chercherais… que j’insisterais… (Elle s’arrêta, sans achever sa phrase, se mordit la lèvre et se tut.) J’avais redoublé de mépris à son égard, attendant ce qu’il ferait. Si le télégramme annonçant l’héritage était venu, je lui aurais jeté à la tête l’argent que lui devait cet idiot… que lui devait mon beau-père, et je l’aurais chassé. Il y a longtemps que je le hais. Oh ! ce n’était pas le même homme auparavant, mille fois non ! Et maintenant, maintenant !… Avec quel bonheur je lui aurais jeté sur sa vile figure ses cinquante mille francs ! Je les lui aurais crachés à la face !…

— Mais, ce papier, cet engagement des cinquante mille francs rendus, il est chez le général, n’est-ce pas ? Prenez-le et rendez-le à de Grillet.

— Oh ! ce n’est pas cela ! ce n’est pas cela !…

— Oui, c’est vrai, ce n’est pas cela. Et la babouschka ? m’écriai-je tout à coup.

Paulina me regarda d’un air distrait et impatient.

— Quoi ? la babouschka ? Je ne puis pas aller chez elle… Et d’ailleurs je ne veux demander pardon à personne, ajouta-t-elle avec irritation.

— Mais que faire ? Comment pouviez-vous aimer un tel homme ? Voulez-vous que je le provoque en duel ? Je le tuerai. Où est-il maintenant ?

— Il est à Francfort pour trois jours.

— Un mot de vous, et j’y vais par le premier train, dis-je avec un stupide enthousiasme.

Elle se mit à rire.

— Et s’il vous dit : « Rendez-moi d’abord les cinquante mille francs » ? Et puis, pourquoi se battrait-il ?… Quelle sottise !

— Où prendre ces cinquante mille francs ? répétai-je en grinçant des dents, comme si on pouvait les ramasser par terre ! Écoutez, et M. Astley ?