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le joueur

— Si je suis venue, c’est tout entière. C’est mon habitude. Vous en jugerez tout à l’heure. Allumez la bougie.

J’allumai la bougie.

Elle se leva, s’approcha de la table, posa devant moi une lettre décachetée en me disant : « Lisez ! »

— C’est… c’est l’écriture de De Grillet ! m’écriai-je en saisissant le papier.

Mes mains tremblaient, les lignes dansaient devant mes yeux. J’ai oublié les termes précis de la lettre, mais en voici le sens :

« Mademoiselle, des circonstances malheureuses m’obligent à partir sur-le-champ. Vous ne serez pas sans avoir remarqué que j’ai expressément évité toute explication avec vous. L’arrivée de la vieille dame et sa folie ont mis fin à toutes mes hésitations. Mes propres affaires compromises m’interdisent de continuer à me bercer d’espérances qui jusqu’ici ont été ma seule joie. Je regrette le passé, mais j’espère que vous ne trouverez rien dans ma conduite qui ne soit digne d’un galant homme et d’un honnête homme. À peu près ruiné par la débâcle de votre beau-père, je suis obligé de profiter du peu qui me reste. J’ai déjà chargé mes amis de Pétersbourg de vendre tous les biens qu’il m’avait engagés. Connaissant pourtant la légèreté d’esprit du général, qui a perdu sa fortune par sa faute, j’ai résolu de lui laisser cinquante mille francs et de lui rendre ses engagements, de sorte que vous pouvez maintenant lui reprendre tout ce qu’il vous a fait perdre, en exigeant par voie judiciaire la restitution de vos biens. J’espère, mademoiselle, que le parti que j’ai pris vous sera profitable. J’espère aussi par là avoir rempli les obligations d’un galant homme. Soyez convaincue que votre souvenir est à jamais gravé dans mon cœur. »

— Eh bien ! c’est clair, dis-je en m’adressant à Paulina… Attendiez-vous de lui autre chose ? ajoutai-je avec indignation.