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le joueur

donne-moi de t’avoir dérangé encore une fois, pardonne cela à une vieille femme. J’ai perdu là-bas, mon petit père, près de cent mille roubles. Tu avais raison de ne pas vouloir m’accompagner. Je suis maintenant sans un kopeck.

J’ai envoyé chez ton Anglais, Astley ; je lui demande de me prêter trois mille francs pour huit jours. Persuade-lui de ne pas me refuser. Je suis encore assez riche. J’ai trois villages et deux maisons. Il me reste aussi de l’argent ; je n’ai pas tout pris sur moi. Tiens ! le voici justement ! On voit bien vite quand un homme sait vivre.

Au premier appel de la vieille dame, M. Astley s’était donc hâté de se rendre auprès d’elle. Sans trop parler, il lui compta aussitôt trois mille francs en échange d’un billet que la babouschka signa ; puis il salua et sortit.

— Tu peux t’en aller aussi, Alexis Ivanovitch. Il ne me reste qu’une heure, je vais me reposer un peu. Ne sois pas fâché contre moi, je suis une vieille sotte. Je n’accuserai plus les jeunes gens de légèreté… Et le général ? Ce pauvre général ! lui aussi, c’est péché de l’accuser. Mais, quant à de l’argent, il n’en aura pas. Il est trop bête ! Mais je ne suis pas plus intelligente que lui. Vraiment, Dieu punit les vieux comme les jeunes du péché d’orgueil… Adieu.

Je voulus reconduire la babouschka. Il me semblait que quelque chose de grave allait se passer. Je ne pus rester chez moi.

Ma lettre à elle était décisive ; mais la catastrophe actuelle était plus décisive encore. Les gens de l’hôtel me confirmèrent le départ de de Grillet, que m’avait annoncé le général. Si elle ne veut pas de moi comme ami, me disais-je, qu’elle m’agrée au moins pour domestique ; je pourrai toujours faire ses commissions.

Au bout d’une heure, je retournai donc chez la babouschka et je l’accompagnai jusqu’au train ; je l’installai même dans un wagon.