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le joueur

monde à ses yeux ! Et M. Astley ? Ici, la chose devenait décidément incompréhensible.

En rentrant, dans un transport de rage, je saisis ma plume et j’écrivis ceci :

« Paulina Alexandrovna, je vois clairement que le dénoûment approche. Pour la dernière fois je vous demande : voulez-vous, oui, ou non, ma vie ? Si je vous suis utile à n’importe quoi, disposez de moi. J’attends votre réponse ; je ne sortirai pas avant de l’avoir. Écrivez-moi ou appelez-moi ! »

Je cachetai la lettre, je la fis porter par le garçon, avec l’ordre de la remettre en mains propres. Je n’attendais pas de réponse, mais, trois minutes après, le garçon vint me dire « qu’on lui avait commandé de me saluer ».

Vers sept heures, on m’appela chez le général.

Il était dans son cabinet, tout prêt pour sortir. Il se tenait au milieu de la chambre, les jambes écartées, la tête penchée et se parlait à lui-même à haute voix. Dès qu’il m’eut aperçu, il se précipita à ma rencontre avec un tel cri que je reculai machinalement. Mais il saisit mes deux mains et m’entraîna vers le divan, où il s’assit. Il me força à m’asseoir dans un fauteuil, en face de lui, sans lâcher mes mains. Ses lèvres tremblaient, ses yeux étaient humides de larmes. Il me dit d’une voix suppliante :

— Alexis Ivanovitch, sauvez-moi, sauvez-nous !…

Longtemps je fus sans rien comprendre. Lui parlait toujours, répétant sans cesse :

— De grâce ! de grâce !

Enfin, je compris qu’il attendait de moi quelque chose comme un conseil, ou, pour mieux dire, que, abandonné de tous, inquiet et désolé, il avait pensé à moi, et m’avait appelé seulement pour parler, parler, parler !

Il était fou. Du moins, il avait momentanément perdu la tête. Il joignait les mains, voulait se jeter à genoux devant moi pour… pour quoi, à votre avis ? Pour que