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le joueur

jamais.) Je trouverai de la place aussi pour les poussins. Ma maison est assez grande. D’ailleurs, il est temps de les envoyer à l’école. Et alors, tu ne viens pas tout de suite ? Prends garde, Praskovia, je te veux du bien, et je n’ignore pas pourquoi tu restes. Je sais tout, Praskovia ; le petit Français ne te conduira pas au bien.

Paulina prit feu. Je tressaillis.

« Tous sont au courant, excepté moi ! pensai-je. »

— Allons ! ne te fâche pas ; je ne veux pas appuyer là-dessus. Seulement, prends garde… tu comprends ? Tu es intelligente, ce serait dommage. Et assez ! Je voudrais n’avoir vu personne d’entre vous. Va-t’en. Adieu !

— Je voudrais vous accompagner, babouschka, dit Paulina.

— C’est inutile. Vous m’ennuyez tous, à la fin !

Paulina baisa la main de la babouschka ; mais celle-ci retira vivement sa main et embrassa Paulina sur la joue.

En passant auprès de moi, Paulina me jeta un coup d’œil rapide et se détourna aussitôt.

— Eh bien ! adieu, toi aussi, Alexis Ivanovitch. Je pars dans une heure. Tu dois être las de rester toujours avec moi. Prends donc ces cinquante louis.

— Merci, babouschka, mais…

— Allons ! Allons !

Sa voix était si sévère, si énergique que je n’osai refuser.

— Quand tu seras à Moscou, si tu cherches une place, viens chez moi. Et maintenant, fiche-moi le camp.

Je montai dans ma chambre et m’étendis sur mon lit. Je restai une demi-heure sur le dos, les mains croisées derrière la tête. La catastrophe avait éclaté. Il y avait de quoi réfléchir. Je résolus de parler dès le lendemain avec décision à Paulina.

« Ah ! ce petit Français ! me disais-je. C’est donc vrai ? Mais quoi ! Paulina et de Grillet ! quelle antithèse ! »

C’était incroyable. Je me levai, hors de moi, pour aller chercher M. Astley et, coûte que coûte, l’obliger à