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leurs… d’ailleurs… quand on pense à cet Anton Antonovitch… c’est terrible de se confier à lui : ses cheveux sont blancs et la vieillesse l’a courbé. Mais le plus extraordinaire, c’est que Son Excellence n’ait rien dit et ait laissé passer la chose ainsi… C’est bon, j’approuve. Seulement, que veut André Philippovitch avec ses moqueries ? Est-ce que ça le regarde, la vieille ganache ? Toujours sur ma route, toujours comme un chat noir. Il veut traverser ma route, l’entraver… »

M. Goliadkine jeta encore un regard autour de lui et se remit à espérer. Il éprouvait néanmoins le trouble d’une pensée lointaine et mauvaise. Il songea même à accoster, sous un prétexte vague, ses camarades les fonctionnaires (à la sortie du bureau, on s’approche pour demander des dossiers), et à faire des allusions en causant : « Voyez donc, messieurs, et ceci et cela, voyez quelle ressemblance extraordinaire, une rencontre très étrange, la mauvaise plaisanterie… » En s’en moquant lui-même, il eût ainsi sondé la profondeur du danger.

Ainsi pensa M. Goliadkine. Mais il se ressaisit à temps. Il comprit que ce serait aller très loin.

« Quelle nature ! se dit-il, en se frappant légèrement le front de la main. Aussitôt tu te réjouis ! Âme sincère ! Non, mieux vaut souffrir avec toi-même, Iakov Pétrovitch ; nous attendrons et souffrirons. »