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— Voyons, Anton Antonovitch, mais je vous pose toujours la même question.

— Mais laquelle ?… eh bien, mais pourquoi vous intéressez-vous tant à ça ?… Je vous le répète. Il n’y a rien qui puisse vous gêner. Tout cela est provisoire. Hé quoi !… Vous n’y êtes pour rien. C’est Dieu qui a arrangé cela, c’est sa volonté, et c’est péché que de se révolter. Voilà sa profonde sagesse. Et vous, Iakov Pétrovitch, c’est facile à comprendre, vous n’êtes coupable de rien. Il y a assez de miracles en ce monde. La mère nature n’y regarde pas. Vous n’avez pas de responsabilité. Tenez, voici un autre exemple : vous avez entendu parler, n’est-ce pas, des frères Siamois, comme on les appelle. Ils sont liés par le dos, et alors, ils vivent, ils mangent et ils dorment ensemble, et on dit qu’ils gagnent beaucoup d’argent à se montrer.

— Permettez, Anton Antonovitch…

— Je vous comprends, je vous comprends, oui… mais quoi… je vous dis qu’il n’y a pas lieu d’être gêné… quoi… c’est un très bon fonctionnaire ; il a dit qu’il s’appelait Goliadkine, qu’il n’était pas d’ici, et qu’il est conseiller à la cour. Il s’est expliqué personnellement avec Son Excellence.

— Comment cela ?

— On dit qu’il s’est très bien expliqué, qu’il a fait valoir de bonnes raisons. « Voilà, Votre Excellence, a-t il dit, je n’ai pas de fortune et