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rait à fixer un miroir ardent. Quoi donc, pense-t-il, est-ce que je rêve ou non ? Est-ce bien aujourd’hui ou est-ce hier ? Mais voyons… En vertu de quel droit ?… Qui a donné l’autorisation d’introduire ici ce fonctionnaire ?… En vertu de ; quel droit ?… Est-ce que je dors, est-ce que je rève ?… M. Goliadkine fit l’effort de se pincer, il voulut même pincer un de ses voisins…

Non, ce n’était pas un rêve. M. Goliadkine sentit la sueur qui lui coulait à grosses gouttes. Donc il se passe pour lui quelque chose d’inouï qui ne s’est jamais vu, et, pour comble de malheur, quelque chose de monstrueux. M. Goliadkine aperçoit tout le désavantage d’être le « premier cas ». Il finit par douter de sa propre existence. Bien qu’il fût préparé à tout, il désirait un éclaircissement de tous ses doutes, à n’importe quel prix. Mais l’imprévu devenait excessif. M. Goliadkine est dans l’accablement du supplice. Par instants, il perd le sens et la mémoire. Mais il revient à lui et il s’aperçoit qu’il promène sa plume sur le papier, machinalement, inconsciemment. Il n’a plus confiance en lui-même : il vérifie ce qu’il a écrit et n’y comprend rien.

Enfin l’autre M. Goliadkine, qui était resté assis très tranquillement, se lève et disparait dans l’autre bureau pour chercher un dossier. M. Goliadkine observe. Rien. Tout est calme. On n’entend que le grincement des plumes, des