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s’effraya même de ce silence extraordinaire. La chose était pourtant claire. C’était étrange, horrible, sauvage. C’était à frémir. Toutes ces pensées passaient comme des éclairs, dans la tête de M. Goliadkine. Il brûlait à petit feu.

Il y avait de quoi. L’homme qui s’était assis en face de M. Goliadkine, c’était la terreur de M. Goliadkine, c’était sa honte, c’était le cauchemar de la veille, c’était M. Goliadkine lui-même. Non pas le M. Goliadkine qui était assis sur une chaise, la bouche légèrement entr’ouverte et la plume arrêtée dans la main et qui remplissait les fonctions d’adjoint près du chef de bureau. Non pas celui qui avait coutume de s’effacer et disparaître dans la foule et dont l’allure signifiait si clairement : « Ne me touchez pas et je ne vous toucherai pas », ou : « Ne me touchez pas… moi je ne vous touche pas ». Non, c’était un autre M. Goliadkine, tout à fait un autre, mais qui était absolument semblable au premier. Il avait la même taille, la même corpulence, le même vêtement, la même calvitie. En tout, absolument en tout, il lui était semblable… Si bien que personne, absolument personne, ne pouvait se flatter, en les comparant, de déterminer quel était le vrai M. Goliadkine et quel était le faux, quel, l’ancien, quel, le nouveau, quel, l’original, quel, la copie…

M. Goliadkine est dans la situation d’un homme sur lequel un mauvais plaisant s’amuse-